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On arrivait au quartier. Tout était plongé dans l'obscurité, devait y avoir une coupure de courant. Encore un gamin qui avait dû brûler un boîtier électrique ou une connerie dans le genre. Avec le service HLM, les réparations allaient prendre deux semaines. Deux fourgonnettes de CRS nous avaient déjà croisés. Rien de bien exceptionnel. La fumée du joint envahit la BMW, alors qu'on arrivait en bas de chez moi.

Je jetais un oeil à la porte. Il y avait deux silhouettes, vêtus de sweat à capuche assez classes, style Bullrott, juste devant l'entrée.

- Eh patronne, je sais pas comment ils supportent de gros pulls comme ça, avec la chaleur

qu'il...

- Putain rasta !

J'arrachai presque le tapis de sol de la BM et je prenais le vieux Mauser de collection que David laissait toujours dans sa caisse. Il pila comme un malade en arrachant le frein à mains.

Les deux gars, leur capuche sur la tête, avaient sorti deux flingues. Impossible de savoir si c'étaient des vrais pétards ou des grenailles, dans le noir.

La BM prit trois impacts dans le flanc.

Klong, klong, klong.

Puis les mecs se mirent à courir vers le fond du parking. Je sautai hors de la caisse, suivie par Rasta. Il tira en direction d'une bagnole derrière laquelle les deux enfoirés s'étaient planqués, un peu au pif. A peine le temps d'avancer, ils recommencèrent à canarder depuis leur planque. On se jeta juste à temps derrière un break pourri.

Des bruits de pas. De portes qui claquent.

David suait à grosses gouttes. Putain ces enculés étaient en train de se barrer en bagnole. Je me relevai en braquant le Mauser devant moi, comme dans les films. Je vis juste le cul de la bagnole qui se barrait, percutant au passage la BMW arrêtée en plein milieu de la sortie du parking.

Merde. On voyait rien. Rien. Une putain de Clio grise comme il devait y en avoir des millions. La plaque masquée par un chiffon.

David était déjà à côté de moi.

- Vite patronne, ça pue. Faut cramer la tire.

- Quoi ?

- Ma tire, il y a des trous, c'est devenu un putain de gruyère. Les flics vont se radiner. Mate en face, le facho du rez-de-chaussée du 14 est déjà à la fenêtre. Allez, on speede.

On monta dans la caisse, qui démarra comme une fleur et on traversa plusieurs pelouses jusqu'à l'impasse, derrière le collège. Et où était ce portable de merde ?

Je pris celui de David, qui avait retrouvé un semblant de calme.

- Allô Hamidou ? Ouais je sais il est presque 2h. Ramène toi à l'impasse. Ouais au collège. Grouille. Et prends un bidon d'essence.

Je raccrochai sans laisser le temps au frère de Pti Ka de réagir.

On planqua la caisse derrière un garage vide, le plus près possible du terrain vague qui servait de stade de fortune aux élèves. On éteignit tout, sauf le pétard. Mes mains tremblaient. J'avais encore le Mauser collé contre ma cuisse, serré, dans ma poche. Je suais comme si j'avais couru un putain de 1500 mètres.

On fuma dans le noir, sans dire un mot, à côté de la caisse. Rasta chopa vite ses CD et une pochette de beuh cachée sous le tapis de sol du coffre.

On entendait des deux-tons, de plus en plus forts. Les flics et le SAMU devaient être au pied du bloc. Puis je vis David se crisper et s'accroupir le long de la porte arrière. Il y avait un drôle de bruit. Un scooter.

- C'est Hamidou. T'inquiète. Il est toujours en scoot.

- Lève le pétard patronne.

Je levai le flingue.

- Non l'autre, patronne. Celui qui brûle.

Hamidou avançait lentement. Puis il aperçut la faible lueur rouge. Après deux zigzags, il arriva vers nous, un bidon entre les jambes.

- Et sur La Mecque, j'étais au pieu les gars ! Avec la cousine de Naomi Campbell. Une de ces bombes de black. Vous savez quoi ? Vous déconnez à mort !

- Cas de force majeure Hamidou. Ramène l'essence.

Rasta prit le bidon et aspergea la caisse. Intérieur, extérieur. Sans hésiter.

- Mais tu brûles ta caisse là ou quoi ? Rasta, c'est ta putain de BMW série 5, t'es ouf ?

Il ne dit rien. Moi si.

- Ferme là Hamidou. On a déjà assez d'emmerdes.

- Pardon patronne. Et au fait, merci pour Karim. L'avocate que t'as trouvée, elle a trop assuré.

- Ouais, de rien.

Je tirais une longue latte sur le joint. Mes mains continuaient de trembler.

- Et maintenant va-t'en tu veux ? Barre toi avec ton scooter avant qu'on mette le feu, ça vaut mieux. Plus discret.

- Ok patronne, pas de problème. Et s'il y a besoin, je suis là.

- Merci man.

C'est tout ce que dit David et Hamidou se barra, avec la pochette de ganja et les disques.

Rasta sortit son briquet et mit le feu aux pneus.

Wouff.

On traversa le terrain vague, direction le petit bois qui longeait la cité. David ne regarda même pas en arrière. On avait fait un brasier avec sa caisse. Putain, ils allaient payer les bâtards.


Une heure plus tard, on était toujours comme deux cons, assis sur un tronc.

- C'est les Portos. Putain de fils de putes de De Sousa.

David roulait un joint, me laissant jurer toute seule.

- Pas sûr patronne.

- T'as pas vu le journal de France 3 ? Ils fêtaient à leur manière les trois ans de la disparition de papa.

Pas de réponse, je continuais à râler pendant dix minutes. Avec pour seule réponse le bruit des doigts de Rasta sur la feuille OCB.

- Faut qu'on les coince, merde.

Un joint de plus.

- Patronne, pourquoi ce seraient les Portos ? Ce genre de connerie de cow-boy, c'est à chaud qu'on la fait. Pas après trois ans. Ça colle pas.

- Sauf s'ils ont appris quelque chose de neuf.

Nouveau silence. Pesant.

- Rasta, je sais rien de rien sur cette histoire.

Je déglutis. C'était la première fois qu'on reparlait de cette affaire.

- Je sais rien et je veux rien savoir. Mais va falloir faire très gaffe. Et pour les flics, n'oublie

pas. On n'était pas ensemble ce soir. Invente un truc, tu trouveras. Moi je garde la boîte de

nuit et Alexia. Plus crédible. J'ai passé la nuit chez elle. Je vais lui envoyer un texto direct.

- Ok patronne. No stress, j'ai des solutions toutes faites.

- Bien.

Bien, tu parles, on était dans une merde noire. On se faisait tirer dessus comme des lapins et on savait même pas pourquoi, ni par qui. Et la police allait débarquer, avec des questions tordues. Fallait jouer serré.

Trop d'euphorie, trop d'argent, trop de relâchement.

- Bon, on décolle ?

Rasta venait d'écraser son joint sur la branche morte.

- On est partis... comment on fait alors ? Je dors chez moi, je préfère.

- Patronne, on en a déjà discuté. Tu restes pas chez toi. T'es folle ?

- Ils reviendront pas. Trop dangereux.

- Ils ont été assez fous pour venir une première fois. Ils s'en tapent des flics. Et les flics s'en contrebalancent aussi de cette fusillade. C'est eux et nous, c'est tout.

Pfui. J'étais épuisée. Nerveusement au bout. Je rêvais que de mon lit. David avait avalé trois tonnes d'énergétiques drinks, il était au taquet.

- Ecoute Rasta, j'ai une idée. Je dors chez toi. Et je me barre tôt. Seule. Parce que les poulets vont débarquer et il faudrait vraiment pas que je sois chez toi. Et moi, s'ils me voient arriver avec la tronche en vrac, je dirai que je rentre juste de chez Alexia.

- On y va. Je campe chez moi devant GT4. Tu prends la piaule. Je dormirai pas de toutes

façons. Ah, au fait, je voulais te dire un truc.

- Quoi ?

- Le Mauser est pas chargé. Jamais. J'ai pas les balles qui vont avec.

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