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Boulevard des Rosiers, boulevard des toxicos. La moitié des sonnettes avaient été arrachées, et celles qui marchaient encore n'avaient pas de nom. On avait déjà dû venir ici deux fois. Aujourd'hui je me déplaçais personnellement. Il n'y aurait pas de troisième délai.

Francis s'approcha de la porte d'entrée du bloc. D'un coup d'épaule, il poussa le lourd battant.

La rue semblait déserte. Il était encore tôt.

On monta tous les trois sans faire de bruit. Seule une fillette feuilletait un magazine, assise sur les marches. C'était une black minuscule. David s'approcha d'elle.

- Petite soeur, tu veux bien rentrer chez toi ?

Elle ne dit rien et obtempéra.

Francis était déjà arrivé au quatrième étage. Il se planta devant l'entrée de Mouss.

- Je sonne ?

Le gitan me sourit et je vis trois dents en or qui brillaient.

- Pas utile. De toutes façons on n'est pas invités.

David se mit d'un côté, Francis de l'autre. La porte craqua presque tout de suite, sous leur

poids.

Ce fut un déferlement de putain, fils de pute, sale race. Deux gamines se mirent à hurler et la femme de Mouss partit se cacher dans la salle de bains.

- Mustaf', fais taire tes gosses bordel ! Sinon je m'en charge fils de pute.

David lui mit un coup de pied dans la poitrine et il tomba, emportant dans sa chute une chaise en plastique. Il suffoquait. Et se mit presque tout de suite à chialer.

Putain de branleur.

- Patronne, écoute. Ecoute-moi, excuse-moi patronne, mais je suis en train de réunir l'argent.

Je te jure, laisse moi juste deux trois jours.

- Mouss sale menteur, fils de pute de joueur. T'es une merde, tu sais ? T'as vu comment tu

fais vivre ta famille. Putain. Tu sais que t'as sacrement merdé ?

Les fillettes continuaient de hurler.

- Et putain fais taire tes gamines !

Mouss se releva lentement, ouvrit la porte de la salle de bains. Sa femme tremblait de peur. Il lui donna quelques ordres en arabe, et elle prit les deux gamines avec elle, en refermant la porte de la salle d'eau.

Puis il nous fit face. Francis avait ressorti son couteau et jouait avec tout en lissant sa moustache. A l'ancienne. David, seul à ne pas être armé, n'avait toujours pas ouvert la bouche. Je voyais la sueur qui coulait le long de sa tempe droite. Ses yeux fouillaient la pièce.

Il avait l'air inquiet, lui qui reniflait les embrouilles comme un clebs.

- Attends patronne, je te jure, je peux déjà te donner quelque chose.

Mouss se retourna et fouilla dans une commode. Personne ne bougeait. Puis j'entendis un bruit sourd contre le bois. Une crosse. Mouss se retourna, un pistolet à grenaille en mains.

- Putain Mouss...

Le temps que j'ouvre la bouche, Francis lui avait déjà fiché une balle dum-dum dans le genou. Mustapha s'affaissa brutalement et regarda sa jambe. Puis il se mit à hurler en voyant sa rotule en miette qui pissait le sang. De peur, il venait de se chier dessus.

- Ca schlingue, on se casse. Dis à ta femme d'appeler le SAMU.

Trois minutes plus tard, David démarra en trombe. Pas la peine de fouiller, de chercher l'argent que Mustapha me devait, de toutes façons il avait dû le cramer aux cartes chez Kamel la veille au soir.

On passa à fond sous le pont de la rocade, avant de tourner en direction du campement de Francis. Ce dernier était d'un calme épatant.

- Je fais quoi du calibre patronne ? Je l'enterre ?

Putain, pas de chance. C'était mon Sig Sauer tout neuf qui avait tiré.

- Alors patronne ?

- Ouais fais chier, j'ai raqué bonbon. Euh.... Planque-le sous ta caravane. Attends quinze ou vingt jours et ensuite trouve un client. Tout le fric que tu en retires, il est pour toi. On fait

comme ça ?

- Pas de soucis.

Arrivé au camp, il sauta quasiment de la voiture en marche, juste à l'entrée du terrain vague. Puis il sortit une cannette de bière de son sac à dos et on le perdit de vue.


On reprit un train plus tranquille avec David. Je connaissais Mouss, il ne dirait rien aux flics. Sinon, il signait son arrêt de mort. Et même... tout le monde s'en foutait de son genou en vrac.

- David ?

- Oui patronne.

- Tu sais ce qui m'emmerde le plus ?

Il conduisait sans me regarder, concentré. Puis il sourit.

- D'avoir grillé un flingue tout neuf pour ce merdeux de Mouss ?

Cette fois, c'est moi qui souris.

- Non. C'est que cet enfoiré se soit chié dessus. Putain, il a aucune fierté ce bâtard.

La conversation se termina là. Je passai quelques coups de fils. Hassan venait d'arriver à Ceuta, tout se déroulait comme prévu pour l'instant.

David tournait un peu en rond, en prenant vaguement la direction du quartier. Il venait de mettre un CD de Sizzla et la voix nasillarde du Jamaïcain envahit la caisse.

- Attend. On va pas rentrer à casa. Je veux faire un détour chez Albrecht. J'ai envie d'un café con latte.

Dix minutes plus tard, on se gara dans une petite rue proche du centre ville. Le soleil tapait plus fort et je sentais mon jeans qui collait un peu. J'avais transpiré. La montée d'adrénaline chez Mouss.

David marchait à mes côtés, souple comme un félin, l'oeil toujours aux aguets. Dans une vie antérieure, il avait dû être chasseur. Parfois, il disait en blaguant qu'il descendait d'une tribu de guerriers Masaï. Je trouvais ça plus crédible que sa pseudo ascendance éthiopienne. Mais un bon rasta devait vénérer Heillé Sélassié.

On se posa en terrasse. Deux serveurs s'activaient derrière le comptoir. Le premier empilait des pâtisseries recouvertes de chocolat dans la vitrine. Le deuxième passait le torchon derrière la caisse. Une musique rock un peu pourrie passait.

David déroula ses longues jambes sous la table.

- Patronne ?

- Je t'écoute rasta.

- J'aimerai envoyer un mandat à ma mère, en Gwada. Mon frère est retombé, la semaine dernière. Elle a plus de caillasse et mes deux petites soeurs...

Mais qu'est ce qu'ils avaient tous à tomber en zonzon ? La loi des séries. J'espère que Pti Ka était le dernier.

- Qu'est ce qu'il a fait ?

- Il a mis un coup de couteau à un gars. Il avait enquillé trop de petits feux, il a perdu la tête. C'est rien de grave, sauf qu'il a planté un blanc, un touriste. Du coup il est au frais à Pointe.

Michaël, son petit frère de 19 ans, avait la peau dure. Mais il ne tiendrait pas en détention sans cantiner un peu.

Je fouillai dans ma banane. J'avais une liasse de billets de 20. Je lui tendis la moitié.

- Merci patronne. Merci.

Il rangea les biftons dans sa poche arrière au moment où Nadia arrivait pour prendre notre commande. Ses longs cheveux noirs tombaient sur sa nuque. Elle était fine, racée. Une belle gonzesse.

Elle sortit son plus beau sourire, à la mesure des pourboires qu'on lui laissait.

- Comme d'habitude Nadia. Mets beaucoup de lait.

David commanda un Coca light, puis s'enfonça dans sa chaise.

Je regardai Nadia repartir vers le comptoir. Une beauté.

- Elle vous plaît patronne ?

Je ne dis rien.

- Je vois les choses patronne. Cette fille est belle à faire bander un mort. Et elle n'est pas en main, je me suis renseigné. Je connais son petit frère. Il travaille, c'est un gars réglo, une famille honnête. Qu'est-ce que tu en dis patronne ?

- Ta gueule rasta. Tu sais bien que ça ne m'intéresse plus. Je suis très bien toute seule.

David n'ajouta rien et secoua ses dreadlocks. C'était notre petit jeu. Il voulait à tout prix me caser avec une « bonne » comme il disait. Il cherchait. Et m'avait déjà ramené une tripotée de chavaï de la cité lors de telle ou telle soirée, chez Fred ou en boîte. Mais c'était fini les meufs. Trop d'embrouilles. Pas bon pour le bizness.

Putain de vie.

Nadia revint rapidement avec la commande. Elle posa délicatement mon café, le lait chaud et le Coca. David tendit 10 euros.

- Merci monsieur rasta.

Elle nous sourit et commença à fouiller dans son tablier pour la monnaie.

- Garde tout, c'est bon.

Cette fois, c'est moi qui avais parlé. Elle me fit un immense sourire, puis repartit de sa démarche chaloupée. Putain de bombe.

On fit un détour par le Mac Do, pour s'empiffrer de saloperies, puis retour aux Mailles. David roulait un pétard à sa manière, c'est-à-dire sans tabac, lorsque mon téléphone sonna.

C'était le baveux. Il avait vu Pti Ka

- Alors ?

- Pas bon patronne. Les flics ont immédiatement ramené à exécution une peine de deux mois ferme qu'il avait encore sous le coude. Et Karim va passer demain en comparution immédiate pour la ceinture et la conduite sans permis en récidive. Les enquêteurs lui ont aussi collé des outrages et une rébellion, histoire de...

- Et la voiture ?

- Elle est à la fourrière de la Plaine. Je pense que le tribunal va ordonner la confiscation.

- Et comment va Karim ?

- Il tient, il fait le fier, mais il balise un peu. Il fume clope sur clope. Mais sinon les flics ne

l'ont pas trop amoché, ça va. Tiens, j'oubliais... j'ai un message pour toi, de sa part.

- Je t'écoute.

- Le gros bébé est sauf. C'est tout ce qu'il a dit. Il flippait d'être écouté aux portes. Il a juste

dit ça, « le gros bébé est sauf. Grâce à la charrette ».

- Ok. Cool. C'est bon. Tu peux le défendre demain ?

- Non, je suis à la cour d'appel, il y a le dossier d'interdiction définitive de territoire d'Abdel,

je dois y être.

- Ah merde. Et Karim ?

- T'inquiètes, j'ai une stagiaire qui assure bien. Elle ira à l'audience et va essayer de descendre au maxi. Mais ça m'étonnerait qu'il prenne moins de quatre mois. Avec les outrages, tu sais comment c'est... En plus il a toujours les mêmes habits depuis le début de sa garde à vue. Le short de bain et les requins, pas génial.

J'imaginai la scène à la barre du tribunal.

- Putain, ouais. J'enverrai des oreilles à l'audience demain, pour voir. Pas la peine de me

téléphoner le résultat.

- Comme tu voudras. Mais n'envoie pas trop de racailles des Mailles, sinon, il prend deux

mois de plus. A cause du bordel dans la salle.

- T'inquiète. Je préviens Hamidou, il n'y aura pas d'incident.

- Je te laisse patronne, j'ai un autre appel en attente.

- Ok Fisch, fais le max.

- Comme toujours.

Je racontais à David les nouvelles.

- Et les kilos ? Sont sauvés ?

- Karim est moins bête que son frère. Il a planqué la came dans les jantes de sa caisse. Les flics ont ouvert le coffre, mais apparemment, ils ont rien trouvé.

- Quelle bande de débiles. Et la voiture, elle est où ?

- A la Plaine.

- Merde. Et comment on fait patronne ? Pour récupérer le shit, faut récupérer la tire ?

- Tout juste Rasta. On va braquer la fourrière. Faut casser cette nuit.

- Et les deux putains de doberman qui ont bouffé le cul aux cousins de Francis, on en fait

quoi ? Et l'autre con de veilleur ?

- J'ai mon idée. Mais on va pas y aller nous mêmes. Faut des spécialistes. On va envoyer

Hicham et Mike, si on arrive à leur mettre la main dessus. Toi, tu vas servir de chauffeur, pour être sûr qu'ils aient pas la mauvaise idée de se barrer avec le stuff.

David me regardait, sans rien dire. Je sentais qu'il n'était pas rassuré.

- T'es sure qu'il faut mettre ces deux ânes dans la combine ?

- Putain, on a pas le choix Rasta. On va pas laisser pourrir deux kilos de résine à la fourrière. Faut y aller, cette nuit. Et nous, on n'est pas équipés pour ça. Chacun son biz.

- Ok patronne. Je me charge de trouver les deux racailles. Tu veux que j'appelle Sabrina, ou Alexia pour te tenir compagnie ?

Je le regardais. Putain de black, toujours à essayer de refourguer des chattes.

- Arrête David, sérieux. J'ai du boulot.

Il partit sans ajouter un mot, le sourire aux lèvres.

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