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Publié le par Barbara Schuster

Le téléphone. Putain. Il était où ? Le temps que je sorte la main de la couette, ce bâtard avait cessé de sonner. Merde. Et d'abord pourquoi il était pas éteint ?

Je fouillai en passant ma main le long du sol. Je réussis juste à renverser le cendrier.

- Fait chier.

J'avais mal au crâne. Putain de champ'. A chaque fois ça me faisait le même effet. J'aimais pas du tout ce truc, mais Hassan kiffait. Les bouteilles de Piper chez pas quoi, des putes qui dansaient. Le côté big boss.

Je finis par attraper le portable.

« Vous avez un nouveau message.... »

« Salut, c'est Isabelle... Je te remercie pour ton texto, je l'ai eu à l'instant, en allumant mon téléphone. Je... je sais pas trop quoi dire... appelle moi, si tu veux, si tu as le temps.... Enfin.... Tu vois, à l'occasion... à bientôt »

Merde. Quelle conne.

Je restai assise sur le lit. Je matais l'heure. 7h47.

Direct sous la couette.

J'émergeais finalement vers midi. Rasta était déjà dans le salon, sur la Play. Un stick roulé, un café qui coulait. J'adorais ce mec. Je serais presque redevenue hétéro avec lui.

- Ouaich patronne... ça va ?

- Ouais. Il me faut une aspro. Je hais le champagne.

- Alors pourquoi t'en bois ?

- Je me demande bien.

Rasta avait mis Booba dans la chaîne. C'était exceptionnel qu'il passe autre chose que du reggae. Ca me prenait grave la tête. Faut dire que je tenais une sale gueule de bois.

« Alors écoute bien... » n'arrêtait pas de répéter le rappeur « tu veux stopper mon crew mais tu vas faire comment ? »

- Tu peux changer ? C'est juste... merdique quoi.

- Ouais, bien sur...

Il claqua du dub. Bien mieux pour commencer la journée.

Il était allé chercher le journal. Cool.

Je feuilletai les résultats de sport. Rien de local là-dedans, ça parlait des errements du PSG. Et de Tony Parker. Tout nase.

Les faits-divers étaient maigrichons. Que des articles à deux euros sur les nouvelles têtes à la gendarmerie de Pétaouchnok. Je sentais que j'allais être de super mauvais poil toute la journée. Foutue gueule de bois.

- Eh Rasta ?

- Ouais patronne...

Il répondait sans écouter, alors qu'il entamait le dernier tour à Indianapolis avec sa Subaru de la mort qui tue.

- Je vais être super chiante aujourd'hui. Une misère.

- Pas grave. Je suis déjà cassé, peut plus rien m'arriver.

Je pris une tasse de café. J'avais toujours la tronche de travers. Tant pis.

On sursauta tous les deux quand ça toqua à la porte. Rasta se jeta sur le matos, qu'il planqua à l'arrach sous un canapé. Les feuilles de comptes étaient au chaud, sous le lino. Je balançai vite fait les deux flingues dans le sac de tri de la cuisine.

Je matai l'oeilleton.

Alexia.

Putain, elle faisait flipper pour rien. Merde.

- Salut Alexia.

- Salut patronne... dis donc, t'as l'air de tomber du lit.

- Ouais... entre, va falloir que je t'explique deux ou trois trucs.

Elle tiqua en voyant Rasta.

- Salut Rasta man.

- Madame Alexia...

Il ne fit pas la bise. Attaché comme il était à ses manettes, risquait de perdre le pôle position. Je tapai rapidement le topo à Alexia. Heure, jour de départ, avec qui et tout le barza. Puis les consignes de sécurité.

- A partir de maintenant, faudra que tu fasses hyper gaffe. Pas d'allusions au téléphone. Si

t'appelles pour le bizness, quel que soit le sujet, pas un mot. Tu me dis simplement que tu veux me voir. C'est tout. Et si t'es dans la merde, je vais te donner le nom de notre avocat. Il nous suit de près. T'appelles personne d'autre. Avant de lui raconter ton histoire, tu lui dis simplement que « la vie est difficile ». C'est le passe. Il saura quoi faire, me préviendra et on le paiera pour toi, quoi qu'il arrive.

- Putain, vous êtes organisés comme des malades... je suis impressionnée.

- Faut pas. Et n'oublie pas. Pose pas trop de questions aux gens avec qui tu bosses. Le moins t'en sais, le mieux c'est pour toi. Si tu te fais serrer.

- Ok. Mais tu sais, je voulais dire, je suis pas une balance. Je dirai pas un mot, je déteste ces bâtards de keufs.

- Je sais Alexia.

Je lui souris. Elle était mignonne, avec son look de skateuse, même si elle me ressemblait trop pour que je la kiffe vraiment. Trop banlieue. Trop marquée par les soucis de famille. Elle et moi, ça pouvait pas le faire. Trop pareilles.

- Si j'en étais pas sure à 100%, je t'aurais jamais proposé de bosser pour moi.

On tchatcha encore un peu. Rasta fit du thé, l'heure tournait. Fallait qu'on se bouge chez Hassan, on avait promis de venir saluer la famille.

 

Dehors, la cité était toujours écrasée par une chaleur malsaine. Des mecs, torse nu ou joint en main, se pavanaient. D'autres passaient en trombe sur leur scoot. Ils narguaient les CRS.

Putain de zoo.

- On achète quelque chose pour la mère d'Hassan ?

Rasta avait le don pour penser à des détails qui m'échappaient. J'étais trop défoncée. Et en train de rouler un joint en me disant ça. N'importe quoi. Alors qu'Hassan avait déjà bossé ce matin. Cinq kilos, payés rubis sur l'ongle. Il perdait pas de temps le lascar. Faut dire il avait vendu chez ses cousins qui habitaient la banlieue est. Il y avait une pénurie là-bas parce qu'un semi grossiste avait pris du recul. C'était pas les flics, mais le fisc qu'il avait au cul. Pire.

Bref, fallait choper quelque chose pour Rabiba.

On s'arrêta chez le fleuriste. Pas génial mais on manquait tous les deux d'inspiration. On prit du jaune, du rouge, et quelques roses. Rasta chuchota plein de trucs à la vendeuse. Elle n'arrêtait pas de glousser. Encore un de ces plans drague à deux euros. Je sais pas ce qu'il foutait, mais en tous cas, elle était en train de préparer un deuxième bouquet. Je lui laissai 30 brouzoufs, puis je me rassis dans la caisse. Putain de dragueur.

Cinq minutes plus tard, on était de nouveau au fond des Mailles. Rue de Montréal cette fois. Dans cette putain de cité, on passait notre journée à visiter des villes canadiennes.

 

Chez Hassan, c'était le délire, on se serait cru à la fête de fin de ramadam. Sauf que c'était juste le retour du fils prodigue.

Cette escroquerie.

On passa le reste de l'après-midi à s'envoyer des pâtisseries marocaines tout en écoutant des chants traditionnels. La petite soeur d'Hassan venait toujours s'asseoir à côté de moi. Elle devait avoir dans les 7 ans maintenant. Trop chou. Elle me posait toujours des questions qui lui semblaient d'une haute importance. Sur la couleur des rideaux de la cuisine. Le temps qu'il faisait la nuit. Et des tas d'autres choses dans le style.

Puis on s'isola quelques minutes avec Hassan dans la cuisine, histoire de mettre au point le deuxième voyage. Il tiqua un peu au nom d'Alexia.

- Tu sais bien ce que je pense patronne...

- Ouais. Qu'il faut que le moins de monde possible soit au courant du bizness et surtout des dates d'aller-retour. Mais là, pas le choix. On peut pas envoyer toujours les mêmes. Trop de bornes, trop de fatigue. C'est dangereux. Et faut que tu restes là un peu. Je te jure qu'on est dans la merde en ce moment. Ils repartiront qu'à deux.

Hassan me matait, en souriant à moitié.

- Tu craques ou quoi ma belle ?

- Putain Hassan, ce truc c'est à nous, rien qu'à nous. Il y aura personne pour nous ramasser et encore moins de monde pour nous pleurer. Alors faut faire gaffe et rester groupé. J'ai besoin de toi ici Hassan. Vraiment.

- Ok ma chérie... t'inquiètes pas. Tout va rentrer dans l'ordre. On va trouver ces débiles qui vous ont tiré dessus. Et on va leur rappeler gentiment qu'il faut éviter de déconner avec nous.

Il souffla lentement. Il avait l'air tellement sûr de lui.

- T'inquiète patronne.

- C'est bon Hassan, c'est bon.

Il me prit par l'épaule, puis toucha un verset du Coran qu'il portait au cou.

- Allah est avec nous patronne, rien ne peut nous arriver.

Putain.

Allah, Jah, la chance ou le destin. Je savais pas trop ce qui pouvait nous sauver.

 

Rasta attendait en bas, dans son Alfa. Immobile comme un dieu égyptien.

19h.

Il était resté assis dans la caisse plus de deux heures.

- Ca va man ?

- Ouais. J'ai médité un peu.

Il avait surtout les yeux du défoncé de base qui avait fumé tarpé sur tarpé.

- Ah au fait patronne. T'avais oublié ton portable à l'arrière. Il a sonné deux fois.

Je montais dans la caisse et jetais un oeil sur le téléphone. Un appel en absence, un nouveau message. Numéro masqué.

Rasta se mit à rouler, tranquille, tout en me tendant un joint dodu.

- Où on va ?

Je lui fis un signe, du genre « où tu veux » et il commença à traverser doucement la cité. Une odeur de barbecue tenace sortait du square, accompagnée de raï criard. Je vis l'un des jumeaux sortir de derrière un bloc. Comme il avait pas de maillot de foot, j'avais failli le rater.

- Ouaich patronne.

Il courait vers nous. Rasta pila.

- Bonjour patronne.

Il baissait toujours un peu les yeux lorsqu'il me parlait.

- Salut petit frère.

Comme je ne savais jamais lequel des jumeaux c'était, je les appelais tous deux invariablement petit frère.

- J'ai entendu un drôle de truc tout à l'heure, au square. J'ai vu Azzedine, tu sais, du bloc du fond. Et ben, il se pavanait avec un calibre caché sous sa veste, avec deux de ses potes, les cousins Algériens. J'entendais qu'à moitié...

Je ne voyais pas trop où il voulait en venir.

- ... le seul truc qui est sûr, c'est qu'à un moment Azzedine les a traité de poules mouillées, de pédés et tout ça. Ensuite il a bavassé, du genre, « le shit est à tout le monde, il y en marre du racket » et d'autres machins. Ensuite il m'a aperçu et il a fermé sa gueule cash. Voilà.

J'essayai de me souvenir d'Azzedine. Maigre, jeune, un beau petit gars. C'était l'aîné d'une famille installée depuis peu. Il était souvent dans les coups foireux, les caillassages, mais à ma connaissance, il n'était jamais tombé. Devait encore être mineur.

Putain.

Cet enculé avait un calibre et s'intéressait au shit.

Je matai la rue. Des casquettes, des baskets, des crevards. Putain de requins aux pieds. Prêts à tout pour se faire de la maille.

- Et petit frère...

- Oui patronne ?

Mes neurones fonctionnaient encore. Bordel.

- Tu sais s'il a une bagnole ce Azzedine ?

- Non, il a que 17 ans. Il sait conduire, mais en fait, il monte quasiment toujours en bagnole avec un autre, un rouquin de la rue de Montréal. Je sais plus son nom. Un gars qui est à fond dans le rap, qui passe sont temps à chourrer des disques au Virgin... tu vois patronne ?

- Non, du tout... et ce gars là, il a quoi comme caisse ?

- Une bagnole toute nase, pas assurée. Une grise je crois. Une petite, genre Clio

Putain.

- Merci petit frère. Et traîne pas trop dans la rue. Tu sais que Rabiba s'arrache les cheveux

avec toi ?

- Ouais patronne. Pas de soucis, tu sais je l'aime ma mère... et on fait pas de conneries, sur la Mecque, je le jure.

- Fais attention.

Il repartit de son pas traînant.

Rasta avait tout entendu et gardait le visage fermé.

- C'est eux tu crois ?

- Je sais pas. L'un des cousins algériens se fournit chez Pti Ka. Enfin, se fournissait.

Je pensais à Karim, qui bouffait la gamelle. Merde.

- En même temps, une chose est sure. Karim n'aurait jamais dit à ces ânes qu'il se fournissait chez nous. Pas le genre à parler. Donc si c'est eux qui nous ont canardés, ils sont bien renseignés. Quelqu'un a forcément parlé...

- Qui ?

- Ah ça...

Mon portable se mit à sonner. C'était mon répondeur. Je l'avais complètement oublié.

Isabelle. Putain, je l'avais même pas rappelé. Quelle conne.

Elle me disait qu'elle finissait à 19h30, qu'elle aurait voulu me voir si jamais j'avais un peu de temps et qu'elle me remerciait.... pour les fleurs. De quoi elle parlait bordel ?

Rasta. La fleuriste qui gloussait.

- Eh man, t'as envoyé des fleurs à ma meuf ?

- Ben oui patronne. Je vois bien que c'est pas le genre de petite attention qui te vient à l'esprit. Pourtant les femmes adorent ça, tu devrais le savoir à ton âge.

- Putain mais de quoi tu te mêles bordel ? Fais chier...

Rasta se ferma comme une huître. Vexé. Je détestais qu'il fourre son nez dans mes affaires.

- Ecoute patronne, je pensais que ça te ferait plaisir, et à ta copine aussi...

- Rasta merde, c'est pas ma copine. On a couché une fois ensemble, elle a 15 ans de plus que moi et elle croit que je suis flic. Et je suis même pas sûre d'avoir envie de la revoir...

Rasta ne répondit rien, mais fit un demi-tour soudain en pleine voie. Puis il embraya seconde, troisième et partit à fond de train dans l'autre sens.

- T'es malade ? Tu fais quoi ?

Il ne disait toujours rien. C'était chelou. Il commençait à me faire grave flipper.

- Où on va putain ? Tu vas répondre ?

Je m'accrochai au siège. Il était vexé, il voulait me tuer, ou mourir ou je sais pas quoi. Putain, on allait crever s'il continuait comme ça. Il monta à 180 sur la rocade limitée à 110, en doublant des poids lourds sur la bande d'arrêt d'urgence. Puis il sortit à l'arrach en coupant la route à une BMW. Centre commercial. Puis il tourna vers la ZAC et finit par s'arrêter au frein à mains devant Cosm'éthic.

- T'es malade Rasta ? Je te déteste...

Il se tourna vers moi.

- Toi aussi t'es malade patronne. Complètement siphonnée. Cette nana te plait, putain. Tu pourrais enfin sortir de ta putain de déprime liée à l'autre connasse là... alors merde bouge toi. Tu veux rester encore combien d'années à ruminer sur cette Julie là ? C'était pas la femme de ta vie bordel, c'était rien ! Rien qu'une conne qui sait pas ce qu'elle perd. Alors fais pas payer tous les autres pour ça.

Je n'osais rien répondre. J'avais jamais vu Rasta comme ça.

Puis il me regarda enfin en face. Enragé, possédé.

- Excuse moi patronne. Je suis désolé... je... j'aurai mieux fait de fermer ma gueule. En plus tu m'avais prévenu que tu serais de mauvais poil.

Il était redevenu aussi calme qu'un buddha.

- T'inquiète Rasta. C'est bon. Pas de soucis. On est tous un peu sur les nerfs en ce moment. Ok ?

- Ouais...

Au même moment, trois voitures, sur les cinq que comptaient encore le parking, sortirent à la file de l'enceinte de Cosm'éthic. Ne restait plus qu'un coupé Mercedes noir et la camionnette d'une entreprise de nettoyage.

- Je te laisse là ou quoi ?

Rasta avait retrouvé un sourire.

Il me lançait un défi cet enfoiré.

- Rappelle moi si elle est déjà partie, je reviendrai te chercher...

Il me fit un clin d'oeil, puis me tendit un joint.

Puis il se cassa, sans rien dire de plus. Et je me retrouvai comme une débile, à pied, au milieu de la ZAC Est à moitié déserte.

Publié dans 5ème journée

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