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Publié le par Barbara Schuster

Une fois dehors, je scotchai 10 minutes au soleil. L'entretien m'avait vidé, j'avais le tee-shirt trempé de sueur. Mes mains tremblaient, j'étais au bout du rouleau. Psychologiquement out.

Cette fois, c'était plus de la rigolade.

Je bipai Rasta depuis une cabine.

- Ramène toi, je suis dehors. Vite.

Je me posai sur les marches, en essayant de faire le tri. Cette nana nous traquait pour les De Sousa, pour Mouss et pour la fusillade. Manquait rien. Sauf le shit.

Merde.

Je vis l'Alfa 147 qui pila devant moi. Je sautai dans la caisse. Rasta me tendit immédiatement un gun, tout neuf. Un automatique Sig Sauer. Quasiment le même que celui que je m'étais acheté. Il me filait le calibre devant le commissariat. Cash. Complètement givré.

- T'as eu ça où ?

- Laisse pisser. Il est à toi, c'est tout. Jah pourvoit.

Le calibre me fit penser à Francis.

- Faut passer au campement. Francis est dans la merde, ce connard de Mouss a dû le balancer aux flics.

- C'est pour ça que t'étais convoquée ?

- Entre autres.

Je grimaçais.

- Rasta, on est vraiment dans la merde, je t'assure. On fait cette livraison et on se planque. Sinon, ils nous auront et ce sera le trou direct. Et ce jour là, j'espère juste qu'on sera poursuivis pour revente de shit. Pas pour assassinat.

Il ne dit rien. Son visage était une tombe. J'osais pas imaginer les images qui lui venaient à l'esprit. Peut être qu'il voyait cet enculé de Dédé le Portos le supplier de ne pas le flinguer.

Putain je voulais pas savoir.

Il y avait un sale silence dans la caisse. J'ouvris la boîte à gants pour prendre le nécessaire à joint.

- Pas la peine patronne.

- Quoi ?

- Ouvre le cendar...

A l'intérieur, un magnifique cône, pas entamé.

Cool.

Je tirai une énorme latte. On approchait du campement. Fallait que j'y entre seule, parce que les blacks et les manouches, moyen. Sauf Francis, mais lui, c'était un marginal parmi les siens. Respecté, mais pas aimé.

Rasta se gara à l'arrach, au vu de tout le monde. Des gamins dépenaillés jouaient avec des vieux bidons d'essence. Ils tapaient dessus comme des sourds avec une espèce de masse. Au moment où je mis un pied sur leur territoire, un gamin, dans les 14 ans, s'approcha illico.

- Gadji, tu veux quoi ?

- Excuse moi de déranger. Je cherche Francis. J'ai un message important pour lui.

- Et de la part de qui ce message ?

Il avait un air arrogant, je lui aurais bien flanqué une gifle. Petit con. Mais lui filer une gifle,

ou même lui faire une sale remarque signerait mon arrêt de mort. Etre l'amie de Francis n'y changerait rien.

Le petit con jouait avec un Opinel.

- Dis lui que c'est la patronne, il comprendra.

- Ok, bouge pas, je vais voir.

Il se barra vers le fond, en passant à travers les rangées de caravanes. Quelques mamas, curieuses, me regardaient, leur fichu planté sur la tête, une ribambelle de gosses dans les pattes. Putain de quart monde.

Plusieurs minutes s'écoulèrent et deux jeunes, vêtus de noir, s'approchèrent. Ils avaient l'air un peu mauvais, mais ils ne dirent rien. Ils surveillaient.

Puis je vis Francis. En caleçon, marcel et avec une barbe de trois jours.

- Patronne... salut.

- Salut Francis. Ecoute, je suis passée chez les poulets cet après-midi. Convoquée. Une fliquette m'a demandé des choses sur toi.

Francis me regardait, les yeux dans le vague, tout en se curant les ongles avec sa lame.

- Et ?

- Et la keuf m'a dit de te dire qu'elle te cherchait « à cause d'un mec qui avait désormais un genou en plastique ». Tu vois...

- Cet enculé de Mouss a parlé ?

- Ben, faut croire... sinon, je vois pas bien...

- T'en penses quoi ?

- Je n'en sais trop rien. Peut-être que Mouss a parlé de moi aussi, mais la fliquette n'en a rien dit. Peut être aussi que Mouss t'a balancé toi tout seul. Espérant lâcher du lest d'un côté, pour qu'on puisse éventuellement refaire du bizness ensemble s'il disait rien sur nous. Ou alors la flic bluffe à donf.

- Ouais... écoute, dans le fond, je m'en fous. De toutes façons, cet enfoiré a signé son arrêt de mort.

Francis avait les yeux éblouis par le soleil. Sa peau était rouge, comme celle des alcoolos.

- Putain Francis, fais gaffe. Tu fais en ton âme et conscience mais... méfie-toi. Si la fliquette m'a raconté toutes ces conneries, c'est bien parce qu'elle se doutait que j'irai te les rapporter illico. Fais pas de conneries maintenant, ils t'ont à l'oeil. C'est un putain de piège.

- T'inquiète patronne. Je ferai pas n'importe quoi...

Il fixa le soleil, l'air dur malgré sa tenue de nase. Ses mains tremblaient. Alcoolique et fou.

-... mais Mouss a trop parlé. Tu sais que je peux pas laisser passer ça.

- Je sais Francis, je sais. Mais la prison, c'est pas drôle. Et en faire pour un looser pareil...

- T'inquiète pas pour moi, patronne. Et merci pour le tuyau... au fait, t'as pas un petit job sous le coude ? J'ai la gorge un peu sèche...

- Rien pour l'instant.

Je fouillai dans mes poches, je tirai trois billets de vingt.

- Tiens.

- C'est quoi ?

Francis avait sa fierté.

- Une avance... essaie de savoir qui a canardé en bas de chez moi, l'autre soir. Si tu trouves, t'auras une bonne récompense en plus.

Il n'allait pas chercher et s'envoyer des bières avec mes biftons. Mais c'était pas grave.

- Ok, patronne. A plus

- A plus

Il repartit d'un pas traînant vers sa caravane.

Je venais de faire une erreur. Trop tard.

- Rasta man ?

- Quoi patronne ?

Lui planait dans les effluves du cannabis, avec du dub super lent en fond musical.

- Je crois que Francis va buter Mouss...

- Quoi ? Buter Mustaf ? Mais pourquoi ?

- Mouss l'aurait balancé aux keufs.

- Merde. Merde ! Patronne s'il y a un cadavre, les flics nous lâcheront plus. Mouss à des gosses, une famille. C'est pas un big boss comme De Sousa, même si toi et moi on sait que c'est une crevure.

Je soupirai. J'aurais dû fermer ma gueule, mais j'étais coincée. Francis avait le droit de savoir que son nom circulait à la maison poulet. Putain quelle embrouille.

- Ecoute Rasta. Francis va peut être se détendre et faire le mort. Ou laisser pisser. De toutes façons, pour l'instant, les flics iront pas le chercher dans le campement. Faut le GIPN et tout. Tout ça pour entendre un mec, avec trois vagues soupçons ? Non, j'y crois pas. La nana m'a balancé ça pour nous faire flipper, c'est tout. Nous tester.

- Et ça marche.

Rasta avait raison. Putain. Connasse.

Fallait qu'on garde la tête froide et qu'on vide notre cervelle de toutes ces sales idées de vengeance. Il y avait une livraison importante. Le reste... pfui.

- Et Hassan ?

- Ah merde, j'ai oublié de te dire. Ils sont là pour 18h, sûr. Faut les attendre au garage. A l'intérieur, avec la porte entrouverte. Comme d'hab' quoi.

- Ok.

- Et je suis passé chez Fred. Pour le deuxième garage. M'a filé les clés d'un truc qui claque, à la lisière des collines. Une bonne porte, pas trop de voisinage. Tout est payé pour 6 mois, sous un nom bidon bien sûr.

- Cool. Dès l'arrivée des gars, tu tries sur place avec Laurent, j'irai avec Hassan à la nouvelle planque. Ou l'inverse. Bref, on s'en tape. Ensuite on se retrouve chez moi.

- Pas de soucis patronne.

- Tu sais que t'assures Rasta man ?

- C'est pas moi. C'est Jah.

Il m'avait ramené ma banane. Je fouillais. Dedans, il y avait toujours les liasses de Saveljic. Merde, j'étais pas passée à la banque. Tant pis. On claquerait du cash, pour une fois. Je pris 5 biftons de 50, que je mis dans la poche kangourou du sweat de David.

- Merci patronne. Faut pas.

-Si... comme ça tu pourras enfin me payer un verre.

 

On passa le reste de l'après-midi à glander chez moi. Il niqua tout le monde à la Play. Moi je rêvassais, complètement défoncée. Et je mis à divaguer, en pensant à Isabelle. C'était une sacrée belle femme. Et j'avais passé un très bon moment avec elle. De quoi effacer un peu la sale tronche de merde de Julie.

J'eus un sourire automatique. Rasta le vit, et il sourit aussi.

- Tu penses à ta nuit patronne ?

- Ouais. On peut rien te cacher.

Il ne dit rien de plus. Moi non plus.

Puis je filais dans ma piaule.

- Faut que je dorme un peu. Je suis à la ramasse et ce soir, faudra toute la lucidité nécessaire.

- Ca marche. Je garde la boutique.

Il dit ça en jetant un oeil sur le portable espagnol.

- Ok.

Je me mis au pieu. Bizarrement, je scotchai grave sur le canapé, mais une fois au lit, rien à faire. Pas moyen de dormir. Je finis par me palucher, en pensant à Isabelle. Je fantasmais avec les dernières images d'elle que j'avais. En tailleur, la grande classe. Femme d'affaires.

Publié dans 4ème journée

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