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Publié le par Barbara Schuster

 

Le plus difficile, c'était le matin. Se lever le matin. Le genre de trucs que j'avais complètement zappé de mon existence.

- Tu sais, tu peux rester dormir ici... je te file les clés pour fermer et tu les mets dans la boîte aux lettres en bas.

- Non, non. Je pars. Je préfère. Et j'ai du boulot, aussi.

J'allais pas commencer avec des histoires de clés. Pas de ça entre nous.

- Comme tu veux.

Isabelle était toujours égale à elle-même le matin. Speed, préoccupée, mais souriante. Moi c'était tout l'inverse. J'étais pas souriante du tout au réveil, surtout à une heure aussi matinale, mais j'étais grave pas pressée.

Quelques livraisons à faire avec Rasta. Et basta. Fumette, comptabilité, organisation du départ du deuxième convoi. Rien que du classique. Mais avant, j'avais une mission importante à mettre au point. Et pour ça, fallait que je capte Francis. Rasta et moi, on n'y arriverait pas seuls. Et Hassan devait gérer la marchandise, pas moyen de l'embarquer dans une putain d'expédition punitive.

On allait se faire Azzedine et ses collègues. Même s'il n'était pas responsable de la fusillade, il avait daubé sur nous. Notre shit, notre organisation. Pour moi c'était clair. Ces petits cons méritaient une leçon.

Une main m'attrapa l'épaule, me sortant de mon fantasme de vengeance.

- Je te dis à plus tard ? J'aurai le plaisir de te revoir ?

- Bien sûr Isabelle... tu m'appelles si tu veux. Quand t'as le temps...

- D'accord. Tu veux que je te dépose quelque part?

Putain, elle était trop chou. Méritait mieux qu'une toxico comme moi.

- Non, c'est bon... je prends le bus, pas de stress.

Puis elle monta dans sa Mercedes, avec son tailleur Armani. Je m'en lassai pas, elle avait vraiment la classe. En fait, le bus, ça me faisait royalement chier. La 147 de David, c'était quand même un peu mieux.

12 minutes plus tard, il était au pied de l'immeuble d'Isabelle, avec une tête de déterré.

- Ouaich patronne ?

- Nickel. Je crois que t'as raison, j'ai une bonne côte.

- Je t'avais dit. Putain, je le savais. De la bombe. Elle habite là ? Putain c'est une sacrée turne...

Il n'ajouta rien. Moi non plus.

- Qu'est ce qu'on a au programme ?

- Faut passer voir Francis...

- Encore ?

- Ouais. Mais d'abord, faut que je capte Hassan. C'est important. Faut qu'on prenne une décision pour Azzedine.

Rasta était garé, en attendant que je me décide.

- C'est tout vu. Le courroux de Jah va s'abattre sur eux.

Rasta avait le visage dur et fermé.

- Non Rasta man. C'est pas tout vu. Moi je pense comme toi. Faut les calmer sévère. Mais Hassan en saura peut être plus sur lui, sa bande à deux euros et ses habitudes. On va pas faire n'importe quoi. Déjà qu'on est pas certains que c'est eux qui ont tiré...

- Mais qui alors ?

- Ouais, je sais bien...

On finit par rouler en direction de chez Hassan, même s'il était bien trop tôt pour le réveiller.

Un arrêt au kebab turc de la cité. Café.

Toujours les mêmes têtes, il n'y avait rien à faire. Hamidou, installé dans le fond avec deux lascars, s'amena direct vers nous. Qu'est ce qu'ils avaient tous à être debout si tôt ?

- Salut patronne, salut Rasta. Respect man.

- Salut Hamidou... dis donc, j'attends encore ton texto pour envoyer un colis à Karim. Et le règlement...

- Oh, excuse patronne, j'ai l'argent, je te donne ça demain si tu veux. Et pour Ka, t'inquiète pas, je le suis de près. Il va bien.

- Sûr ?

- Ouais, Pti Ka c'est mon frère, c'est un dur. Il tiendra. Tu crois quoi sérieux ?

Rasta semblait plus dubitatif. Peut être qu'il pensait à son frangin à lui. Je ne dis rien non plus. Karim devait surtout pleurer sa mère tous les soirs.

- Sinon, j'ai une info pour toi patronne.

- Je t'écoute.

- Il y a deux gars du lycée pro... les deux cousins, tu vois qui ?

- Pas trop...

- C'est pas notre génération, c'est clair. Deux têtes zarbis, qui traînent toujours avec un rouquin, qui zone dans la cité avec sa Clio. Tu vois ?

- Les potes de Azzedine ?

- C'est des potes à qui ?

- Laisse tomber... vas-y la suite ?

- Les deux cousins se sont fait alpaguer par la BAC. Hier soir. Contrôle zappé, course poursuite. Ils ont planté leur caisse à l'angle du boulevard. Ils avaient 250 sur eux, pas coupé, tout frais...

- Ils ont touché leur matos où ?

- Ben c'est bien le souci. Ils étaient en train d'appâter le dealman de rue, tu vois... ils cherchent des putains de revendeurs. Sur ton territoire. Je me suis dit, faut que tu le saches. Voilà.

Rasta serrait les dents. Moi aussi. Hamidou haussa les épaules.

- Bref tu m'as pas vu patronne. Et t'as rien entendu.

- Pas de soucis man.

Je sortis trois billets de vingt.

- Tiens Hamidou... au fait, tu as besoin de combien ?

- Un demi kil', je pense ça suffira.

- Vois avec Hassan.

- Ok. Et merci. T'auras ton fric demain. Sur la Mecque.

Il enfourna les biftons dans son jeans.

Putain de merde. Azzedine. Pour qui il se prenait ce branleur ?

- Alors patronne ?

David touillait son thé, sans grande conviction.

- Ben je crois qu'il n'y a pas photo.

- Je crois aussi.

J'essayai d'appeler Hassan. Répondeur.

On se décida à zoner un peu dans la téci, histoire de voir. Les deux cousins Algériens, out. Ne restait que ce putain de rouquin et son boss. Une seule chose était sure, ils étaient pas du matin. On fit des ronds autour du square en Alfa. Mort de chez mort. Rasta questionna deux, trois potes à lui. Tout le monde semblait connaître le rouquin. Un nerveux, violent, qui écoutait du gangsta rap. Mais Azzedine, c'était le mystère. Pas arrivé depuis très longtemps. Discret. Encore dans les couches de sa mère.

La chaleur ne cessait pas d'augmenter depuis le début de semaine. On allait finir en short et marcel. Rasta alluma la clim', tout en faisant péter Elephant man.

On fit un saut chez moi. Rien de neuf, pas de courrier bidon dans la boîte. Juste un mot d'Alexia sous ma porte. Avec son nouveau numéro de portable, forfait prit sous le nom de sa mère.

Nickel.

Il était près de 11h. Toujours pas de news d'Hassan. Tant pis. On troqua l'Alfa contre ma 206, direction le campement. Chou blanc aussi de ce côté. Francis avait disparu depuis la veille, après notre premier passage. Les manouches nous regardaient avec un air soupçonneux, mais une mama se ramena vers nous, au bout de quelques minutes un peu tendues. Rasta baissa les yeux, sinon, il risquait le coup de canif.

- Vous patronne ?

- Euh... ouais.

- Tiens.

Elle me tendit un bout de papier. On se cassa sans demander notre reste. C'était un mot de Francis. Tout en phonétique.

Il avait pris la tangente. Nous disait pas où, forcément. Devait être descendu dans le grand sud. Style Saintes Marie de la Mer, chez sa cousine. Perdu au milieu des siens. Transparent.

- Il a bien fait de tracer non ?

Rasta avait raison. Sauf qu'on avait besoin de lui. Et que sa fuite confirmerait les soupçons de la fliquette. J'espérais juste qu'il était parti sans demander son reste à Mouss.

- Bon... on fait comment avec les gamins du coup ? On prend qui ?

- T'inquiète patronne. On y va, c'est tout. Tous les deux.

- Et on fait quoi ?

- On défourraille et on les coince dans une cave. Je veux les voir chialer et chier dans leur froc. Je veux que nos minutes soient des heures pour ces enfoirés.

- Et après ?

- S'ils ont assez de couilles pour revenir à la charge, on les bute.

Putain.

- Eh Rasta... on peut pas les tuer. C'est des gosses. Faut arrêter de délirer...

- C'est des gosses, c'est vrai patronne. Mais ils jouent avec les grands. Un jeu dangereux. Et je peux te dire que s'ils avaient pu nous décaniller l'autre soir, ils l'auraient fait sans hésiter. On peut pas se laisser bouffer par des petits cons qui vont foutre notre biz en l'air. Si on lance pas les représailles, on va passer pour des bouffons.

- Ouais, mais regarde. Ils ont perdu une savonnette déjà. Et deux revendeurs. Ils sont à la dèche, je suis sure. Si on est diplomates, ils nous boufferont dans la main pour avoir du teuchi dans trois jours.

- Ouais, patronne, ouais. Mais pas de diplomatie aux Mailles, tu sais bien. Ils nous ont manqué de respect. Ils ont voulu notre scalp. On peut pas laisser passer ça. Faut que ces enculés présentent des excuses.

Rasta avait raison. On n'avait plus le choix. On allait leur foutre la trouille de leur vie et ils cesseraient de faire les cons avec nous. Tout simple.

David roula un tarpé. On était toujours arrêtés sous le pont, à côté du camp de manouches.

Mon téléphone sonna. Hassan. Enfin.

- Alors patronne, ça gaze ? T'as essayé de me joindre ?

- Ouais man. Faut qu'on se voie.

- Tout de suite ?

- Le plus vite possible. Il y a du neuf.

- Chez toi ?

- Ok. On arrive dans pas longtemps.

Direction les Mailles. Je pensais à tout ce bordel. Comment est-ce qu'on pouvait sortir de cette embrouille ? Aucune idée.

Arrivés chez moi, on se roula un cône. Ou plutôt, Rasta roula le jokos pendant que je préparais un énième café. Et la pizza, directement sortie du congélateur. Hassan arriva très rapidement. On lui exposa le problème. Il trouvait notre réponse « appropriée » comme il disait si bien, mais ne voulait aucun mort. Pour lui, le plan « on fout la trouille à des branlos » ça le faisait. Pour de rire. Mais pas la peine d'aller trop loin. J'étais assez ok avec lui, mais David adoptait une attitude très dure. Normal, il avait été élevé à la dure.

Et un deuxième pétard. La seule certitude, c'est qu'on ne s'attaquerait pas à eux aujourd'hui. Fallait concevoir une marche à suivre. Et pour ça, il fallait en savoir un peu plus sur ces deux zozos. Du moins, les deux de la clique qui restaient dehors. Sur ce coup, on pouvait au moins remercier le pif des keufs.

Mon portable fit une musique bidon. « Vous avez un message ». Quelle merde.

Je jetai un oeil. Le Sig tombait entre mes reins, dès que je bougeais. La misère.

Isabelle. Forcément, les petits texto allaient commencer. Putain. Arrêter, tout arrêter. Avant qu'il ne soit trop tard. Avant que notre relation super top ne se transforme en une catastrophe. Une bouse bonne à jeter. A oublier.

- Ouaich patronne, on fait comme on a dit ?

- Ouais. Rasta et moi, on s'occupe des blaireaux. Pas de stress. Dans le calme et la bonne humeur.

Rasta était d'un calme inquiétant. Statufié.

- De ton côté Hassan, il n'y aura pas de problème non plus. Laurent part avec Alexia. Convoyage express. Direct depuis la Méditerranée. Et ensuite et c'est pas une blague, on se casse en vacances.

Hassan souriait bizarrement. Le pétard lui donnait parfois cette tronche. Rasta n'avait toujours pas moufté. Il finit par prendre la parole. Après avoir méfu sa dernière latte.

- Patronne ? Je sais pas si c'est bien prudent que tu viennes pour l'expédition. Je suis pas trop sûr.

Je réfléchis trente secondes. Je devrais l'engueuler. Tout en sachant qu'il avait en partie raison. Ou alors lui rappeler qu'il ne pouvait y aller seul. Que ce serait du suicide.

- Ecoute Rasta. Je te fais confiance comme équipier. T'as toujours été loyal, comme il fallait. Moi non plus je ne t'ai jamais fait de coup tordu. Alors tu vois, cette mission à la con, je pense que il n'y a que toi et moi qui pouvons l'accomplir. Confiance man. On peut pas échouer parce qu'on se fait confiance. Rien de plus. Pas la peine d'avoir fait de la boxe thaï ou prit des cours de tir à la carabine.

J'avais terminé mon laïus. Hassan avait toujours sa tronche toute chelou. La musique était arrêtée, fallait tourner le vinyle.

- Et David, t'as vu comme elle parle la patronne ? Putain respect man. Je te jure. Elle te fait confiance.

Il ne répondit rien, sauf :

- On fait comme tu veux patronne.

Publié dans 6ème journée

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